Encore une fois, Anthea gambade joyeusement autour des tables du hall de la guilde. Elle n'est pas partie en mission depuis des lustres, ou en tous les cas, personne ne l'a vue. On se demande comment elle se nourrit, des fois. D'ailleurs, c'est peut-être pour ça que ses joues commencent à se creuser. Ou alors c'est qu'une illusion d'optique. Au fond, on s'en fout, parce que ça n'a pas l'air de beaucoup déranger l'intéressée. On dirait même que ça booste sa joie de vivre et son capital sympathie. Anthea, elle continue de sourire. Elle continue de sourire tout le temps et à tout le monde. Elle parle aux gens qui sont là, accueille les rares touristes aventureux. Une pile électrique. C'est fou quand même.

La rousse se pose finalement à une table, un jus de tomate à la main. Elle joue avec la paille et les glaçons comme une gosse de deux ans. Mais au fond, c'est juste qu'elle commence à se faire chier, ici. Elle a besoin de bouger, d'extérioriser, de voir la nature. De voir des gens, surtout. Et là, en l'occurrence, le hall de guilde est aussi peuplé que Desertio en pleine saison touristique. C'est-à-dire mort à en clamser d'ennui. Ce sont les conséquences de la fin du mois. Il faut payer le loyer et les charges. On arrête de papillonner à droite à gauche et on part exécuter mission sur mission pour boucler le mois et mettre un peu de côté. Anthea, elle, est fauchée jusqu'à l'os. Et ça ne la dérange pas. Elle se contente d'un rien. D'un tout petit, très petit rien. A vrai dire, elle pourrait même dormir sous un pont qu'elle trouverait le moyen de d'apprécier le moment. Au lieu d'y voir le froid et la précarité, elle y verrait plutôt la beauté des étoiles et une nuit spéciale camping.

Anthea fait des bulles dans son verre, accoudée à la table et les poings contre ses joues. Elle songe à organiser une soirée danse et karaoké. Elle pourra se défouler, comme ça. Puis qui n'aime pas se trémousser et chanter faux ? Il y a même des costumes mignons tout plein pour rajouter un peu plus de piquant. Les yeux de la rousse se mettent à scintiller à la simple expectative de la soirée. Elle se voit déjà porter cette magnifique perruque afro et cette combinaison jaune pleine de paillettes. Le chef lui a interdit de la toucher. C'est un vieux collector de ses jeunes années. Mais pour une soirée karaoké, il fera bien une exception, non ? Son sourire s'étend d'une oreille à l'autre. Anthea est si facile à distraire que c'en est déconcertant.

Elle boit son jus d'une traite et se lève d'un bond. Il ne lui reste plus qu'une chose à faire : opération décoration. Il faut se mettre dans l'ambiance. Alors elle s'en va fouiller les réserves et revient avec un gros carton rempli de babioles poussiéreuses. Elle refait le voyage une fois, deux fois, trois fois ... Au bout de la cinquième fois, elle est enfin satisfaite de la quantité de conneries qu'elle a réussi à sortir des placards. Les gens la regardent d'un œil curieux. Mais personne ne dit rien. La plupart sont habitués aux lubies d'Anthea. Il en faudra un peu plus pour les étonner. Sur son nez, elle pose une paire de lunettes de soleil dont les verres sont en forme d'étoiles. Et la voila finalement entrain d'accrocher guirlandes et autres décorations futiles, transformant le bar loundge de Blue Pegasus en un espace festif et surtout fort kitsch. Aaaah ! La journée lui semble déjà plus prometteuse qu'à ses débuts. Instinctivement, elle se met à danser et chantonner au gré de l'opération décoration, sautillant ci et là en manquant de se prendre les pieds dans on ne sait quel obstacle invisible.

L'inéluctable finit par arriver. Près de la porte d'entrée, perchée sur un tabouret pour accrocher une perruque afro au mur, elle exécute un faux pas qui l'entraine directement dans une chute. Mince alors. Elle qui veut danser de tout son soûl va sans doute se retrouver une jambe dans le plâtre.