«Sitha reste près de moi !»

Nuru tendit la main vers le petit garçon à quelques pas devant elle pour l’insister à le rejoindre.

L’enfant n’avait pas encore cinq ans. Il était plutôt grand pour son âge mais avait conservé les bajoues de l’enfance.

Sithakala Tartarias marchait vers le désert attirait par cette vaste étendue de sables fin. Il aimait l’éclat du soleil sur les dunes dorés et sentit la brûlure sous la plante de ses pieds. L’envie de parcourir ce monde inconnu lui dévorait les entrailles.

«Sithakala ! Je ne vais pas le répéter.»

Le petit garçon se pinça les lèvres et se tourna vers sa mère qui lui offrait son regard le plus sévère. Il abdiqua et se dirigea vers elle d’un pas traînant.

«Lève les pieds.»

Le jeune garçon obéit à sa mère et adopta une démarche convenable. Nuru lui adressa un large sourire.

«Un jour, mon petit prince te parcourra ce désert comme si tu étais un roi.»



Sithakala, douze ans, marchait seul dans les dunes. Il avait pris le teint hâlé des habitants du désert. La mine basse, l’adolescent avançait en laissant derrière lui la ville qui l’avait vu naître.

Le jeune Tartarias ne parvenait pas à sortir de sa tête, cette terrible nuit où son don magique lui était enfin apparu. Il avait mis du temps à se déclarer si bien que son grand père douta un instant qu’il soit un véritable mage mais Nuru, sa mère, avait toujours été confiante.

Et une nuit, il se réveilla en sueur après avoir fait un rêve étrange.

Il était la, face à lui, avec sa gueule énorme et béante. Il l’observait et ses yeux pâles transperçait son âme.

Le Maurok...

Il était tout aussi terrifiant que dans les contes. Pourtant, d’une manière inexplicable, le jeune Sithakala savait qu’il était lié à cette créature au milieu de sa chambre.

Quand le jeune mage rouvrit les yeux il était seul mais il comprenait à présent qu’il était maudit. Le Maurok l’avait choisi et le traquerait jusqu’à décorer son esprit et son âme. En restant dans la demeure familiale, Sithakala mettait tous ses poches en danger.

Il quitta donc le foyer dès le lendemain et partit dans le désert cherchant à mettre la plus grande distance possible entre lui et les siens. Il n’avait pas laissé de mot. Il n’en avait pas le courage.

Il marcha plusieurs heures jusqu’à l'épuisement. Il tomba à genou sous la brûlure accablante du soleil. Désespéré, il éclata en sanglots et pleura un long moment. Quand une voix grave et voilée s’éleva derrière lui.

_ Pourquoi pleures-tu, Enfant ?

Sithakala sursauta, en se remettant sur ses pieds et il se retourna. La silhouette était immense, massive et solide. L’inconnu avait la peau brune et les yeux bleus pâles comme les siens.

_ Je... je me suis perdu, mentit le jeune homme.

_ Comment t’appelles-tu ?

Sithakala essaya de calmer les sanglots qui lui serraient la gorge et respira profondément.
_ Je m’appelle Sithakala Tartarias.

_ Sithakala, répéta l’étranger. Sithakala...

L’inconnu laissait rouler le prénom de l’enfant sur sa langue et son palais comme s’il évaluait le bouquet d’un jeune vin. Le goût devait lui plaire car il se mit à sourire.

_ Et vous ? Qui êtes-vous ? demanda l’enfant inquiet. Il avait cessé de pleurer. Les jambes fléchies, il se préparait à présent à fuir.

L’homme se redressa légèrement et découvrit ses dents blanches. Ses canines étaient plus longues et pointues que la moyenne.

_ Je m’appelle Alikata. Alikata Maurok.

MAUROK?! Sithakala bondit pour s’enfuir mais l’homme était rapide. L'énorme main du Maurok se referma sur le col de l’enfant et le ramena face à lui.

_ Pi.. pitié ! Ne me mangez pas !

Le Maurok contempla l’enfant un long instant avant d’éclater de rire, un ricanement qui glaça le sang de l’adolescent. Alikata finit par se calmer et considéra Sithakala.

Je ne vais pas te manger, Stupide Enfant ! Jamais je ne goûterais à la chaire à ma chaire... "



Le dos du jeune Maurok entra brusquement en contact avec le sol rocheux et inégal. Il retint un grimace de douleur. Alikata n’aimerait pas qu’il montre le moindre signe de faiblesse. Sithakala avait bien changé depuis le jour ou son père l’avait ramassé dans le désert. Son visage s’était allongé et ses joues avaient perdu la rondeur de l’enfant. Il avait considérablement gagné en taille et en force. Ses épaules étaient larges et ses muscles plus dessinés.

Pourtant, il était très loin d’égaler la carrure et la taille d’Alikata. Ce Djinn était une véritable montagne !

_ Cela suffira pour aujourd’hui, railla le vieux mage en se détournant pour rejoindre la demeure.

Sithakala parvint à se redresser. Il avait mal partout. Alikata avait augmenter la fréquence des entraînements. Il rejoignit son père en serrant les dents. Il devait faire preuve encore d'un peu de patience. Bientôt, il serait loin, il serait libre.

Alikata demeurait la seule personne avec qui Sithakala avait un contact depuis que le Maurok l’avait amené dans les montagnes, dans la demeure cachée de leurs ancêtres. Il était devenu une part de la vie du jeune mage, implacable et indomptable. Le sorcier l’entraînait du matin au lendemain. Sithakala avait appris à se battre à l’épée, à mains nues, avec l’aide ou non de la magie, sous la brûlure des soleils comme dans le froid le plus mordant. Le jeune mage maîtrisait à présent son essence. Il en avait fait une arme redoutable. Mais Sithakala se s’était pas contenté d’apprendre à tuer, Alikata lui avait inculqué l’art de la corruption et de la ruse.

Sithakala avait d’abord éprouvé beaucoup de haine envers son père. L’enfant, piégé dans les montagnes, ne pensaient qu’à sa mère. Nuru occupait ses songes, éveillés comme endormis.

Au début, Sithakala avait tenté de s’enfuir. Mais il s’était perdu dans les montagnes. Sans l’intervention d’Alikata, il serait mort, déchiqueté par un prédateur affamé. L’enfant avait rapidement compris qu’il ne quitterait cet endroit qu’une fois son entraînement achevé. Il laissa donc Alikata le former et progressivement, sans s’en apercevoir la haine que le jeune Maurok éprouvait pour le mage se transforma en respect et même en admiration.

Cependant Nuru lui manquait toujours. Bien qu’il approchait de l’âge de l’émancipation, il était encore un peu un enfant. Sithakala avait soigneusement caché ses envies et ses plans à son père. Il avait appris à trouver son chemin dans les montagnes et à ne plus craindre les prédateurs.

Alors cette nuit, profitant de l’absence de son père et maître, il quitta la demeure...

Il trouva son chemin dans les montagnes vers le désert. Il marcha longtemps, plusieurs jours. Les terres peuplés étaient loin de la demeure des Maurok. Mais il finit par retrouver Nuru. Elle habitait toujours la demeure de ses parents. Quand elle le vit, son regard s’illumina. Elle courut vers lui et le prit dans ses bras. Elle était plus petite que son fils désormais portant elle le serrait si fort qu’il faillit étouffer.

Sithakala ne montra aucune méfiance, tout abandonné aux attentions de Nuru. Il était dans la maison des Tartarias, l’endroit où il était né et avait grandi. Il ne comprit pas le hurlement indigné de son grand-père. Mototo Tartarias attaqua aussitôt. Il leva une main et Sithakala se retrouva figer sur place.

Le regard de dégoût du vieux mage fit mal à Sithakala. Son grand-père avait compris qui il était - ou plutôt ce qu’il était. Sans quitter le Maurok des yeux, Mototo écrivit une massive qui ne contenait que trois mois en lettres capitales : «MAUROK EST ICI». Le vieux mage siffla et un grand rapace arriva, en volant, par la fenêtre. Il se posa quelques secondes sur l’épaule du patriarche des Tartarias, attrapa le morceau de parchemin dans son bec et repartit.

En une poignée de minutes, huit hommes armés débarquaient dans la demeure. Sithakala, emmuré dans son propre corps, était entièrement à leur merci.

Nuru hurla, supplia mais Mototo la tenait à distance, l'entraînant hors de la vue de Sithakala. Les guerriers tirèrent leur épée et s’avancèrent. Le jeune mage ferma les yeux.

Le bruit sourd, le choc du métal contre le métal et le hurlement d’agonie qui suivirent, le poussèrent à ouvrir les yeux. Les hommes armés avaient disparu de sa vue. Dans son dos, s’élevaient des sons de luttes, des fracas de lames, des cris de rage et des gémissements de douleur. Puis brusquement, en une minute à peine, ce fut le silence. Sithakala retrouva le contrôle de son corps et put enfin se retourner.

Un véritable carnage s’étendait tout autour de lui. La plupart des soldats étaient morts ou sur le point de l’être. La tête de Mototo Tartarias avait roulé à plusieurs mètres de son corps.

Nuru et Alikata était au centre de la boucherie. Son père, un genou à terre, tenait contre lui le corps de ma mère, avec une délicatesse et une déférence que Sithakala ne lui connaissaient pas. Nuru était si petite dans les bras du Maurok, si menue. La Djinn, un filet de sang sur les lèvres, caressait le visage de son ancien amant en souriant. Ils échangèrent quelques murmures que Sithakala ne comprit pas et quelques instant après, Nuru n’était plus...

La vengeance du Maurok fut terrible. Alikata massacra les soldats survivants, les taillant en pièces et n’épargna ni la femme, ni les autres enfants ou petits enfants de Mototo Tartarias. Quand sa derrière victime rendit son ultime soupire, le Maurok se calma enfin. Il se tourna vers son fils et lui ordonna de le suivre en silence. Les yeux du jeune mage se posèrent sur la missive serrait dans la main, désormais froid, d’un soldat.

"MAUROK EST ICI"

Sithakala se pencha pour prendre l’unique preuve de leur passage mais Alikata l’arrêta d’un cri.

_ Laisse la ! Qu’ils la trouvent ! Qu’ils la lisent ! Qu’ils en tremblent ! Qu’ils s’en souviennent !!

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Sithakala marchait depuis des jours dans le désert, seul. Il laissait derrière lui son pays natal pour une vie d’exilé. Les pieds du jeune mage fauchèrent le sable brûlant alors qu’il remettait le sac de toile contenant ses maigres possessions sur les épaules.

Il avait tourné le dos à la tombe de sa mère et celle de son père. Alikata Maurok était mort, assassiné par Kakhoulou Tartarias. Son corps avait été exposé au milieu du village où il avait été abattu, pendu par les pieds. Le Maurok était mort, vive le Maurok. Sithakala demeurait à présent le dernier de sa lignée. Il serait traqué. Kakhoulou et ses mercenaires parcouraient tout le pays à sa recherche. Il ne pouvait pas resté dans ce pays.

Le glouton arpenta une dune, marchant avec agilité dans le sable. Ce paysage allait y manquer. Il aimait le désert. Il le connaissait. Il ne craignait ni le soleil, ni la mort tapie derrière chaque grain de sable. Il y était chez lui.

Il ne savait pas ce qu’il l’attendait au delà des dunes. Alikata l’avait instruit. Il avait eu accès à de nombreux ouvrages traitant de la géographie et des moeurs des autres patries autour de Désierto. Des Pays étranges où une poignée d’hommes cachés dans ce somptueux bâtiments, décidés du sort de toutes la population. Parfois le pouvoir était contenu dans un unique individu : un roi, une reine ou un tyran. Sithakala avait bien du mal à s’imaginer que des hommes et des femmes puissent accepter qu’on les dirigeât de cette manière. La liberté devait demeurer absolue et individuelle. Bien sûr, un fils devait respect et obéissance à son père mais il était de son devoir de voler vers l’émancipation.

La Grande Bouche remarqua les traces du passage récent d’une caravane. Elle partait dans la direction qu’il avait choisi. Il sut qu’il était dans la bonne direction et allongea le pas. Il lui faudrait trois jours de voyage avant d’atteindre sa destination.

Qu’importe au final ce qu’il trouverait dans ce périple. Il ne redoutait pas les despotes. Il serait faire sa place. Il était le Maurok, le Glouton, la Grande Bouche. Rien ne lui paraissait impossible.


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La bête étira sa mâchoire démesurée. Ombre silencieux et invisible, elle ne connaissait aucun barrière. Elle traversa le mur d’enceinte et entra dans les appartements de sa victime. Celle ci était plongée dans un profond sommeil. Sa respiration était paisible et régulière. L’homme avait une cinquantaine d’années mais il était plutôt bien conservé pour son âge. La Grande Bouche quitta le sol pour s’élever au dessus de la couche. Il flotta quelques instants ainsi en observant l’endormi. Plus brutalement, il plongea vers l’avant et entra dans la bouche, le nez et les oreilles de l’homme. Celui ci poussa le gémissement plaintif et étouffé d’un étranglé. Quelques instants après, il s’agita dans son sommeil. Il luttait contre une créature invisible, cherchant à repousser l'étreinte sans jamais parvenir a se libérer, ni même quitter cet état de stupeur cauchemardesque....